Au royaume des aveugles, les borgnes sont… malhonnêtes !
Au risque de
choquer ou de paraître effroyablement cynique, au risque d’être
irrémédiablement cataloguée comme une implacable insensible et une
scandaleuse provocatrice dans ce contexte international
particulièrement sensible, je me dis quand-même que nos grands médias
nationaux* l’ont échappé belle avec les attentats de Londres.
Sans
vouloir minimiser un tant soit peu l’indicible horreur de tels actes,
sans oublier un seul instant les victimes innocentes et l’absolue
nécessité de condamner haut et fort toute action terroriste, on
pourrait toutefois pousser le « mauvais esprit », diront certains, en
notant de ces attentats qu’ils tombent à point nommé pour éviter à nos
médias une déculottée qui n’aurait pas manquée d’être mémorable…
Ne
revenons pas sur la partialité effrontément affichée de la campagne
référendaire. Beaucoup d’encre à coulé à ce propos sans que cela semble
avoir le plus petit soupçon de répercussion dans les cerveaux
embrigadés. Abstenons-nous de faire la leçon de l’élémentaire éthique
journalistique, ne parlons pas de probité, de sens moral, oublions
également de parler de censure et de déchéance. Effaçons de nos
mémoires les omissions douteuses, les arguments mensongers, les
jugements à l’emporte pièce. Empêchons-nous d’éprouver la moindre
rancœur à l’égard de ceux qui nous ont insultés, méprisés, trompés…
tout a déjà été dit à ce propos.
Passons encore sur les
élections iraniennes dont on nous annonçait, à grand renfort de gros
titres et de prévisions fantasques, la victoire de l’honorable
démocrate Rafsandjani sur l’infâme populiste Ahmadinejad.
Là
encore, abstenons-nous de parler de propos mesurés et pensés,
d’impartialité, de justesse d’analyse, de véritable travail de fond et
de vérification sur le terrain.
Fermons les yeux sur
l’incompétence, sur l’information tronquée, détournée, appropriée. Ne
nous risquons pas non plus à établir la moindre comparaison entre ce
populiste là et celui qui n’a pas manqué d’être débusqué derrière tous
ceux qui se risquaient hors les sentiers battus de la pensée unique en
osant voter non à la Constitution européenne. Oui, surtout
abstenons-nous de faire le moindre rapprochement de ces dérives
verbales.
Ne nous arrêtons pas non plus sur les annonces tonitruantes de victoire de la candidature parisienne pour les JO 2012.
Evitons
là aussi de regarder de près ce bel esprit olympique que l’on nous a
vendu, ne nous souvenons pas des affaires de dopage, n’évoquons pas la
corruption du CIO, soyons charitables et ne nous mêlons surtout pas de
demander des comptes sur les quelques 24 millions d’euros qu’aura déjà
coûtée cette candidature avortée.
Ne nous indignons surtout pas
des 2,5 milliards d’euros promis par Raffarin en cas de victoire de la
candidature, alors même que « la France vit au dessus de ses moyens »,
ne nous étonnons pas des 2 milliards promis par la ville de Paris qui
peine, paraît-il, pour financer des logements sociaux… l’olympisme vaut
bien quelques sacrifices !
Ne reprochons pas non plus à nos médias
de laisser peu de place à ces chiffres préférant les humours gauloises
de notre boute-en-train national, excusons-les de ne pas se choquer de
la précarité qui n’aurait pas manquée de naître autour des contrats
précaires, de l’intérim, des CDD payés au Smic, du travail au noir et
de la surenchère sécuritaire des des quelques 46 000 « personnes »
promises pour rassurer les plus inquiets… on peut difficilement être
juge et partie.
Fermons les yeux également sur les 7 attentats londoniens devenus 4 une fois passés les effets d’annonce débridés.
Là
encore, ne nous scandalisons pas du manque de vérification, de la
course au scoop, de l’info charognarde qui porte aux nues le
sensationnel qui tue et qui tâche…
Apprêtons-nous à écouter une
fois encore la grande messe des experts es-terrorismes et leurs
prédictions cataclysmiques, avalons sans broncher la pilule de la
démocratie bafouée, bornons-nous à notre confortable rôle de victime
sans chercher à trouver dans nos médias les voix claires et nettes qui
dénonceraient enfin nos « attentats démocratiques » et les morts
innocentes qu’ils occasionnent. Ignorons avec la même superbe qu’ils le
font, nos responsabilités et nos fautes, cherchons dans les bas fond de
l’Humanité les têtes à trancher… un coupable se punit mieux qu’un
responsable.
Oui fermons les yeux encore une fois… c’est la
condition nécessaire si nous voulons pouvoir continuer à lire les
journaux, à écouter la radio et à regarder la télévision… si nous
voulons garder intacte la nécessaire confiance qui préside à
l’absorption de cette information que nous concèdent ces médias.
Ils
ont de la chance, rancuniers comme nous sommes, nous aurions pu leur
demander des comptes sur ces « erreurs » à répétition, nous aurions pu
nous révolter de ces divagations, de ces méprises, de ces non-sens, de
cette malhonnêteté, de ces partis pris, de ces renoncements et de bien
d’autres choses encore…
Heureusement pour eux, nos attentions
volent vers ces malheureuses victimes et leurs familles plongées dans
l’affliction, nos colères sont dirigées contre ces odieux fanatiques
inexcusables… heureusement !
Saluons donc haut et fort cette
libéralisation de la presse, qui mieux que le droit à une information
impartiale, mieux que l’exigence d’un travail journalistique honnête et
dégagé des pressions mercantiles, mieux que des médias d’utilité
publique… nous garantit au moins la liberté chèrement gagnée… d’être
les mieux désinformés !
* L’amalgame, forcément
injuste, que je fais ici en englobant dans le « tout média » les
journalistes, éditorialistes et autres engeances médiatiques, me pousse
quand-même à saluer les rares personnes qui exercent encore ce métier
avec justesse et conviction, avec sincérité et honnêteté… Peu nombreux,
ils ont le mérite d’être là et de résister. Hélas, l’exception en la
matière ne fait ni règle, ni école…
Laure Zudas.